Début novembre, par mail, un de mes frères m'invite à repenser le travail, la pauvreté et la richesse au travers du problème du luxe et de son honteux étalage aux cotés de l'accroissement des nouveaux gueux. Appel manichéen ou angoisse profonde ? Dans le même temps, un rendez vous avec un chef d'entreprise avec qui je collabore depuis un an m'attend pour faire un point sur notre futur partenariat. Le travail rémunérateur qu'il me propose n'est pas sans me poser de multiples questions. Mais le plus pénible tient peut être au fait que ma conscience ne s’est jamais autant sentie tenue en devoir de vigilance que dans les situations de confrontations qu’elle dut traverser au cours de cette année. Confrontations entre les nécessités pratiques du commerce et les philosophies ou morales qui rodent toujours un peu autour et dans chaque tête et me plongent comme un nain au milieu d'une bagarre. Qui sait par exemple qu'avant d'être sur le marché comme produit finit et parfait, certains équipements ne sont qu'ébauches, prototypes en développement qui s'améliorent par interaction entre le client, son vendeur, le constructeur et une équipe de techniciens ? Parce que l'adéquation entre moyens financiers, moyens matériels et humains et temps imparti à la rentabilité sont fluctuants et dépendent de l'appréciation et des qualités de décideurs et consommateurs souvent impatients et exigeants. Et dépendent aussi bien sûr du travail et de la qualité de celui-ci comme de la persuasion et de la détermination dans un rapport de forces aussi mouvant qu'incertain. Dans cette relation tri ou quadri ou multi partite les choses sont à la fois à demi dévoilées et à demi tues. Par exemple, on ne dit pas : « Mon produit est encore en phase de débogage » mais on dit: « Cette fonction fait partie d'une implémentation adaptée selon les besoins du marché. » Il faut faire court pour s'expliquer car tout « bon »commercial sait qu'il ne doit pas troubler son interlocuteur qui risque de perdre patience et confiance. « Jeu de dupes ! Mensonge !» crieront certains parmi lesquels souvent pataud je me range. En ajoutant: « Haro sur les menteurs et vendeurs de vent! » oubliant que la grosse machine industrielle qui fait manger à peu près tout le monde fonctionne sur ce mode, non de l'esbroufe diplomatique mais des petits arrangements qui sont dans la période d'ombres et de faibles lumières actuelle, la voie pragmatique et réaliste dans laquelle le noir tourne pour trouver la lumière en semant le sel pour y voir clair (XXVIII/12). Pour reprendre une image de
Face à ce genre de situation qui ne sent pas sa conscience se tordre comme le linge sous l'effort d'une paire de mains ou d'un tambour? Qui ne sent pas sa part et la chair et l'esprit de l'humanité passer dans sa matière et les larmes mouiller sa gorge (XVI/9) et l'immense difficulté pour devenir lucide ? On comprend mieux aussi pourquoi le Créateur appelle le monde à changer (28,7) en guérissant ses plaies (8,7) en entrant dans une autre relation, en abordant les problèmes avec un esprit neuf et un grand sens des nuances comme l'est au fond toute la création. Et parce qu'il n'y pas de solution à terme à tous ces problèmes sans une forte respiritualisation de soi même et une longue réflexion.
(1) Ceux qui souhaitent approfondir la réflexion sur le sujet. Nous conseillons la lecture de l'article « Pauvreté» paru dans le journal Frère de l'aube n°68. Journal qui sera bientôt en ligne.
Les références en italiques sont extraites de
Illustration: La cour des miracles par Robida